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Analyses - 4 novembre 2005

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novembre 2005

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Le tourisme durable fait des vagues

Le virage vers un tourisme «vert» suscite de nombreuses initiatives, mais aussi des débats et des controverses. Les «taxes vertes» de toutes sortes rencontrent une vive opposition de la part de l’industrie touristique. On initie rarement un tel virage sans heurts. Pour ou contre? Le syndrome «pas dans ma cour» est à l’ordre du jour!

L’environnement, c’est du sérieux! Les récentes frasques climatiques et la flambée des prix du pétrole qui a suivi constituent des éléments déclencheurs d’une forte remontée de la conscientisation environnementale. Tout le monde tourne «au vert».

Pour ou contre? Des observations qui font réfléchir…

  • «Les touristes ne se soucient pas de l’environnement.» La croissance de la sensibilisation d’un tourisme responsable est menée par l’industrie et non pas guidée par la demande des touristes qui ne se soucient pas de cet aspect quand ils voyagent (Royaume-Uni – Débat «Fly Me to the Moon, the Next Chapters in Travel and Tourism», Association of British Travel Agents, Sunvil Holidays, Cendant, High and Wild, Travel Foundation, etc.).
  • C’est aux touristes qu’incombe le coût d’un tourisme durable et non pas aux voyagistes ou aux gouvernements déclare Keith Bellows, vice-président de la National Geographic Society, aux intervenants de la Nouvelle-Zélande (conférence de la Tourism Industry Association). Dans le même esprit, l’instauration d’une «écotaxe» est un des moyens de faire payer une partie des coûts à ceux qui en sont tout à la fois à l’origine et bénéficiaires, soutiennent Gérard Richez et Josy Richez-Battesti, auteurs d’une étude sur le tourisme de masse, les dynamiques locales et logiques globales à Majorque (Baléares, Espagne).
  • Les scientifiques pointent du doigt l’avion comme étant un important pollueur en raison de l’émission des gaz à effet de serre (GES). De 1990 à 2002, l’aviation civile européenne a augmenté de 70% ses émissions globales de GES et les environnementalistes voient d’un mauvais oeil les croissances annoncées du trafic des passagers.
  • La majorité des acteurs s’accordent à dire que les taxes liées à la protection de l’environnement et à l’aide à l’équilibre Nord-Sud sont importantes, mais aucun secteur ne veut en assumer la responsabilité.
  • Le développement durable représente le plus grand défi de l’industrie touristique. Le tourisme ne constitue pas une ressource que l’on peut consommer jusqu’à épuisement pour ensuite passer à autre chose. Il faut pratiquer un tourisme durable, sinon le tourisme mourra (Travel Foundation – Royaume-Uni).
  • Le tourisme possède un potentiel significatif pour réduire la pauvreté des pays en développement, mais encore faut-il voyager «éthiquement» (Organisation mondiale du tourisme).

Une taxe de solidarité controversée

Certains pays européens et l’Union européenne ont décidé de s’«attaquer» au déséquilibre Nord-Sud (pays riches et pays pauvres) et au peloton des pollueurs responsables de la dégradation du climat.

D’un commun accord, Paris et Londres ont annoncé, en septembre 2005, la mise en oeuvre, en 2006, d’une taxe de solidarité sur les billets d’avion pour aider au développement des pays plus pauvres (financement d’un programme de lutte contre le sida et la malaria). Cette initiative a été soumise à l’Organisation des nations unies dans une perspective d’impôt planétaire. Plus d’une soixantaine de pays ont manifesté leur intérêt.

Plusieurs chiffres circulent tant sur le montant de la taxe (de 1 à 5 euros par passager en classe économique et de 20 à 40 euros en classe affaires, vols en transit exclus) que la base de calcul et le montant annuel qu’elle devrait rapporter (200 millions uniquement pour la France et jusqu’à 10 milliards d’euros à l’échelle mondiale en se basant sur les chiffres de l’International Air Transport Association – IATA).

Craignant l’impact négatif sur leur industrie, nombreux sont les acteurs qui s’objectent à la hausse du prix du billet qu’entraînerait cette taxe, notamment pour les raisons suivantes:

  • c’est un mauvais timing alors que la croissance constante des coûts de carburant force déjà les compagnies aériennes à augmenter le prix des billets;
  • cette escalade de prix engendrera une baisse de trafic pénalisante pour les pays dont les économies dépendent largement du transport aérien et du tourisme;
  • la collecte de la taxe s’avérera un processus complexe et coûteux pour les compagnies;
  • près de 3000 emplois seront menacés en France;
  • «le transport aérien n’est plus une industrie de luxe» souligne Lionel Guérin, président de la compagnie Airlinair et de la Fédération nationale de l’aviation marchande; il représente le premier vecteur de développement économique et touristique des pays en développement;
  • le modèle des vols low cost est menacé par l’augmentation constante des taxes de toutes sortes;
  • s’employant à essayer de survivre, les transporteurs américains semblent loin de ces préoccupations et s’y opposent;
  • le World Travel & Tourism Council (WTTC) trouve inapproprié qu’un secteur de l’industrie en particulier soit pressenti comme véhicule pour une telle levée de fonds et ce, particulièrement en raison des hausses du prix du pétrole et des importants défis auxquels le domaine aérien est confronté actuellement. Le WTTC privilégie la hausse des voyages afin de stimuler l’économie touristique des pays en développement.

Dans cette foulée, d’autres initiatives voient le jour. Pour compenser les émissions de CO2 causées par les vols aériens, British Airways a lancé auprès des passagers un système de dons en ligne sur une base volontaire, dans le but de financer l’association Climate Care qui lutte contre le réchauffement climatique.

Créé en juin 2005 par les transporteurs britanniques, le groupe The Sustainable Aviation s’est engagé à étudier des initiatives de lutte contre le réchauffement climatique d’ici la fin de 2006.

La saga de l’écotaxe aux îles Baléares, des leçons à tirer

L’écotaxe, qui a prévalu aux îles Baléares (archipel espagnol sur la Méditerranée) de mai 2002 à octobre 2003, a été mise sur pied par Francesc Antich, chef du Gouvernement régional, pour «mettre fin à la massification du tourisme, responsable d’un épuisement des ressources naturelles et de la dégradation de l’environnement». Par analogie, les autorités voulaient attirer une nouvelle clientèle préoccupée par la qualité de l’environnement et du patrimoine et s’éloigner du milieu concurrentiel des destinations qui bradaient leurs offres. Les fonds amassés étaient destinés à la réhabilitation des espaces touristiques.

Considérant cette taxe comme une déclaration de guerre par l’industrie touristique, à cause particulièrement du manque de consensus lors de l’établissement de la loi, plusieurs hôteliers l’ont contournée de multiples façons. Ayant trouvé un écho dans toute la presse européenne, cet épisode n’a pas été sans conséquences sur toute l’activité touristique des îles. D’un coté, les tenants de motivations économiques, écologiques et sociales à long terme, et de l’autre, ceux qui craignaient pour la mauvaise image de l’Espagne, les spéculateurs immobiliers de même que les détracteurs qui protestaient contre la façon de prélever cette taxe. L’écotaxe n’a pas survécu au changement de gouvernement. En 2002, elle avait tout de même rapporté plus de 20 millions d’euros.

Par ailleurs, Miguel Segui Llinas, dans son rapport «Les Baléares: un laboratoire du tourisme en Méditerranée», souligne que l’instauration de la loi sur l’écotaxe a profondément divisé les acteurs et mis en évidence les difficultés de compréhension et d’application de mesures «durables».

De la réflexion «vert» l’action

Que l’on soit acteur public et économique ou voyageur, le contexte actuel induit toute une remise en question de la pratique touristique.

Jean-Marie Fardeau, secrétaire général du Comité catholique contre la faim et le développement, salue la taxe de solidarité qui permettra d’assurer une meilleure répartition des richesses sur la planète. Voulant s’engager sur de nouveaux sentiers, il souligne que ce dispositif doit être la première étape vers une fiscalité internationale.

Parmi ses interrogations sur le tourisme durable, Miguel Segui Llinas (dans le rapport ci-dessus mentionné) soumet quelques interprétations du tourisme durable, dont l’approche essentiellement basée sur une perspective économique qui reconnaît que la qualité environnementale est un facteur important de compétitivité et doit, de ce fait, être protégée. Une autre approche suggère que la préservation de l’environnement est aussi importante que l’efficacité économique et l’équité sociale.

M. Llinas conclut son analyse en soulevant la difficulté de concilier les avantages du progrès (temps de loisir, déplacement, liberté de choix…), et la diminution des impacts négatifs. Le grand défi d’aujourd’hui, rapporte-t-il, est de trouver l’équilibre entre progrès social, développement technologique, croissance économique et respect environnemental. Aucun aspect ne doit primer sur les autres, ce qui risquerait de rompre l’équilibre. Il termine en alléguant qu’«un tourisme effectivement durable va bien au-delà d’un simple argument de marketing» et qu’il faut «éviter de tomber dans le «verdissement» ou le greenwashing aujourd’hui à la mode».

Quant à Jean-Claude Péclet, il conclut son article sur la hausse des coûts dans le transport aérien («Demain, on ne volera presque plus gratis») en disant que, pour le client-passager, la tendance est claire. Après avoir profité de la baisse spectaculaire des prix (bataille concurrentielle, arrivée des low cost, etc.), celui-ci entre dans une nouvelle ère de la vérité des coûts (taxes et frais, sécurité, navigation aérienne, carburant, solidarité, environnement, aéroport, etc.).

En bout de ligne, est-ce que le touriste cessera de prendre l’avion ou cessera de visiter des destinations qui prennent des mesures de protection de l’environnement sous prétexte qu’il devra pour ce faire débourser un peu plus?

Sources:
– AFP. «British Airways lance un système de don pour lutter contre l’émission de CO2», Infos Économiques, 11 septembre 2005.
– Davies, Phil. «Sky High Taxes to Decimate Low Cost Flights», [www.travelmole.com], 18 novembre 2005.
– Denuit, Delphine et Christine Ducros. «Combien rapportera vraiment la taxe sur les billets d’avion», Le Figaro, 16 septembre 2005.
– Jones, Steve. «Tourists “Don’t Care About Environment”», Debate Hears»,  TravelMole [www.travelmole.com], 21 septembre 2005.
– Harel, Xavier et Béatrice d’Erceville. «Paris et Londres lancent la taxe sur le transport aérien pour 2006», La Tribune (France), Économie, 12 septembre 2005.
– Péclet, Jean-Claude. «Demain, on ne volera presque plus gratis», Le Temps, no 2353, Économie, 12 septembre 2005.
– Richez, Gérard et Josy Richez-Battesti. «Tourisme de masse, dynamiques locales et logiques globales à Majorque (Baléares, Espagne)», rives, 12-2002, Majorque: un modèle touristique entre dynamiques locales et logiques globales, [http://rives.revues.org/document132.html].
– Segui Llinas, Miguel. «Les Baléares: un laboratoire du tourisme en Méditerranée», Plan bleu, Sophia Antipolis, novembre 2004, [www.planbleu.org/publications/baleares.pdf].
– Stuff News Website. «Tourists Should Pay for Sustainable Tourism, Says Editor», [www.stuff.co.nz], 21 septembre 2005.
– Touboul, Sylvie. «Les Baléares suppriment leur écotaxe», [www.novethic.fr], 28 juillet 2003.
– Travel Foundation. «Sustainability Is the Industry’s Biggest Challenge», TravelMole [www.travelmole.com], 7 juillet 2005.
– Vidalie, Anne. «Une taxe humanitaire sur les billets d’avion?», L’Express, no 2820, 18 juillet 2005, p. 72.
– World Travel & Tourism Council. «WTTC Position on Taxing of Sir Travel for International Sid», Communiqué de presse, 5 septembre 2005.

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