Retour

Retour
Analyses - 5 février 2007

Filtres

Filtres

Type de contenu

Tous les types

Thématique

Toutes les thématiq...

Analyste

Tous les analystes

Chronologie

février 2007

Recherche

L
Imprimer Hébergement,

Exit l’hôtelier, place aux «affaires hôtelières»

Un de nos experts, M. MICHAEL NOWLIS, consultant et directeur de Tourism Control Intelligence, retrace trois tendances interreliées qui ont transformé radicalement l’industrie hôtelière mondiale au cours des 25 dernières années.
Nous verrons d’abord comment les actifs immobiliers dans le secteur de l’hôtellerie sont passés, dans les années 1980, des mains américaines à celles d’investisseurs étrangers, pour être ensuite rapatriés, au milieu des années 1990. Nous examinerons ensuite de quelle façon les grands groupes hôteliers de la scène internationale ont délaissé la propriété immobilière pour se concentrer sur la gestion de marque et nous expliquerons enfin comment cette réorientation des affaires a été entraînée par le fait que, partout dans le monde, les investisseurs planifient leurs investissements selon des échéances de plus en plus brèves.

La grande liquidation américaine

Des rapports parus récemment dans la presse ont avancé que le groupe InterContinental Hotels (IHG) ferait l’objet d’une offre publique d’achat de 11,2 milliards USD au cours des prochains mois. Le montant colossal de la transaction stupéfie même les analystes les plus chevronnés de l’industrie, qui suivent pourtant depuis des décennies les fusions et les acquisitions de compagnies hôtelières. Le groupe IHG possède un portefeuille impressionnant de marques hôtelières reconnues internationalement, comme InterContinental, Holiday Inn, Crowne Plaza et Indigo, pour ne nommer que celles-là. Les activités de la compagnie sont bien diversifiées en termes de segments de marchés et de couverture internationale. Néanmoins, la hausse de 60% du cours de son action d’août 2006 à janvier 2007 soulève de nombreuses questions sur les plans de la spéculation, de la qualité de la gestion et des caractéristiques financières de la compagnie. Les analystes de l’industrie prédisent qu’une société de placement immobilier américaine ou une société de financement par capitaux propres présentera une offre spontanée de 1500 livres sterling pour les actions en circulation du groupe IHG durant le premier semestre de cette année. Une telle offre représenterait une prime de 80% par rapport au cours de l’action à la bourse de Londres en août (840 livres).
Le montant exorbitant de cette offre d’achat ne serait cependant pas la seule raison qui ferait de cette transaction un événement important. Les deux prétendants les plus fréquemment cités sont en effet des sociétés de placement américaines: Barry Sternlicht’s Starwood Capital et le groupe Blackstone, société de financement par capitaux propres, qui investissent des sommes importantes dans l’industrie hôtelière. L’achat du groupe IHG par des investisseurs américains bouclerait la boucle en rétablissant la domination nord-américaine dans le secteur de l’hébergement à l’échelle internationale.
Le retrait des Américains du marché international de l’hôtellerie débuta en 1981, lorsque Pan American Airways vendit sa division InterContinental à Grand Metropolitan, un groupe d’hôtellerie et de restauration britannique. Cette vente marqua le début de la liquidation des compagnies hôtelières nord-américaines, qui furent cédées, pour une longue période, à des intérêts étrangers. Exemple frappant, Holiday Inn, la plus grande compagnie hôtelière au monde à l’époque, fut ainsi vendue au brasseur anglais Bass en 1987.
La vente d’InterContinental provoqua aussi une autre tendance qui transforma radicalement l’industrie du voyage durant les années qui suivirent: les compagnies aériennes commencèrent à se défaire de leurs actifs hôteliers pour concentrer leurs activités dans le transport. En 1987, en l’espace de quelques mois seulement, la compagnie aérienne de Chicago United Airlines vendit ses filiales hôtelières Hilton International, Westin et Camino Real à des investisseurs britanniques et japonais. Au cours des années subséquentes, toutes les principales compagnies aériennes de la scène internationale liquidèrent leurs divisions hôtelières. Les dirigeants de l’industrie du voyage en étaient venus à rejeter l’idée traditionnellement acceptée que lignes aériennes et hôtels gérés par une même compagnie constituaient des unités d’entreprise complémentaires.
Les investisseurs asiatiques furent particulièrement intéressés à acquérir des groupes hôteliers américains. La compagnie New World Development de Hong Kong acheta les compagnies hôtelières Ramada International, Renaissance et Stouffer. Regal, un autre groupe de Hong Kong, acquit Richfield, l’une des plus importantes sociétés de gestion en Amérique du Nord, dont le portefeuille comptait un grand nombre d’hôtels portant entre autres les bannières Sheraton, Hilton, Choice et Holiday Inn. La compagnie Kingdom Hotel Investments de Dubaï fit une razzia au Canada en se portant acquéreur des hôtels Delta et CP Hotels et en achetant des parts importantes de Four Seasons et de Fairmont.
Pendant que les Asiatiques se concentraient sur l’hôtellerie de luxe, les investisseurs français se tournèrent vers les hôtels américains de catégorie «budget». En achetant Motel Six et Red Roof Inns, le Groupe Accor devenait propriétaire de plus de 1000 établissements hôteliers aux États-Unis et au Canada.
Les compagnies hôtelières étant vendues les unes après les autres à des mains étrangères, les investisseurs nord-américains furent accusés de nourrir un intérêt obsessif pour le profit à court terme. Les analystes soutenaient que les investisseurs asiatiques et européens, qui avaient une vision à plus longue échéance, récolteraient de jolis profits après un certain temps. L’impatience américaine, avançaient-ils, permettait aux investisseurs étrangers de s’approprier les joyaux de la couronne de l’industrie hôtelière internationale à des prix qui risquaient fort d’atteindre des taux bien supérieurs à la normale.

Le rapatriement

Tout juste comme la vente à rabais des compagnies américaines semblait sur le point d’atteindre son point de non-retour, quelque chose d’étrange survint. En 1994, un groupe dirigé par la peu connue Starwood Capital et Goldman Sachs acheta Westin du groupe japonais Aoki, marquant le retour de la compagnie en des mains américaines. Liquidant une partie de ses actions «non stratégiques», Aoki vendit la compagnie pour 537 millions USD, soit environ le tiers de ce que le groupe avait payé à United Airlines pour l’acquérir, en 1988. Les analystes virent dans le rachat de Westin une transaction circonstancielle qui ne laissait augurer aucune nouvelle tendance au rapatriement des valeurs américaines. Il ne fallut pas longtemps, toutefois, pour découvrir qu’ils avaient tort.
En 1997, Marriott acheta Renaissance, Ramada International et New World Hotels de ses propriétaires de Hong Kong. Plus récemment, la Hilton Corporation racheta Hilton International, son homonyme britannique, pour la somme de 5,7 milliards USD, ce qui marqua la réunification de la compagnie 42 ans après l’acquisition de la division internationale par Trans World Airlines et près de 20 ans après le transfert de son siège social au Royaume-Uni.
Les investisseurs américains ne sont généralement pas plus discrets pour s’approprier un marché que ne l’a été l’armée américaine pour prendre Bagdad, et il n’en fut pas autrement pour la reprise de leurs investissements dans le secteur hôtelier international. Non contents de simplement reprendre possession des hôtels «américains», comme pris de frénésie, ils firent l’acquisition d’un nombre impressionnant de compagnies hôtelières internationales. Sheraton acheta la CIGA, compagnie de Rome qui avait jusque-là maintenu un quasi-monopole sur le marché hôtelier de luxe en Italie. Le groupe Carlson Companies, propriétaire des hôtels Radisson, fit l’acquisition de Regent International, ce groupe hôtelier de Hong Kong qui avait établi la réputation de l’Asie en matière d’hôtellerie de luxe. Starwood acheta les hôtels Le Meridien, une chaîne fondée par Air France qui avait été vendue à des intérêts britanniques en 1994, et les Hôtels du Louvre, deuxième compagnie hôtelière en importance en Europe, qui comptait parmi ses établissements les prestigieux hôtels Concorde.

Des horizons de planification à plus court terme

Les acteurs des marchés financiers américains boudent-ils désormais l’investissement à court terme pour se concentrer sur les gains à plus longue échéance? Rien ne saurait être plus éloigné de la réalité. Le retour de la domination américaine sur les marchés boursiers dans le secteur hôtelier reflète en fait la mondialisation économique des investissements internationaux en général. Les investisseurs de toutes nationalités évaluent les risques et le rendement d’investissements planifiés selon des échéances de plus en plus brèves. En période d’incertitude, pourquoi les investisseurs de Hong Kong voudraient-ils attendre de nombreuses années pour voir leur capital fructifier alors que l’indice composé de Shanghai a augmenté de 122% en 2006? Sur les bourses du Pérou, du Vietnam et du Venezuela, l’augmentation était de 168%, de 144% et de 156%, respectivement, l’année dernière. Dans l’univers hautement interrelié et interdépendant du XXIe siècle, les investisseurs du monde entier, de l’Albanie à la Zambie, utilisent les mêmes critères d’investissement pour reconnaître les occasions les plus lucratives au sein des marchés mondiaux. Les calculs ne portent plus sur la valeur actualisée nette des rentrées de fonds attendues au cours des quelques décennies à venir; on vise maintenant plutôt à évaluer l’augmentation de la valeur de l’actif (actifs immobiliers ou contrats de gestion) au cours de l’année ou même du mois suivant.
Le cas de l’Hotel Washington, dans la capitale américaine, illustre bien cette tendance. Gal-Tex, qui fut propriétaire de l’hôtel pendant 65 ans, le vendit à Westbrook Partners pour 120 millions USD au printemps 2006. À peine six mois plus tard, la compagnie Westbrook céda à son tour la propriété de l’hôtel à Istithmar Hotels pour 150 millions USD, récoltant plus de 1 million USD de profits pour chaque semaine où elle fut propriétaire de l’établissement.
Le groupe Savoy de Londres offre un exemple encore plus étonnant de ces changements de mains rapides d’actifs hôteliers. L’hôtel Savoy et ses trois propriétés soeurs, comptant au total 772 chambres, furent achetés par la société d’investissement irlandaise Quinlan Private en mai 2004 pour la somme de 1,36 milliard de dollars. Les 226 chambres de l’hôtel Savoy étaient évaluées à environ 380 millions de dollars au moment de la transaction. Après quelques mois, Quinlan vendit le Savoy à Kingdom Hotel Investments pour un prix déclaré de 475 millions de dollars. À 1,8 million de dollars par chambre, ce fut l’un des prix les plus élevés jamais payés pour l’acquisition d’un hôtel. Même si on avait largement reproché à Quinlan d’avoir payé un montant beaucoup trop élevé pour l’achat du groupe Savoy, la vente d’un seul des hôtels lui apporta des profits de 95 millions de dollars, et ce, après avoir été propriétaire de l’établissement pendant moins d’une année.

De la possession d’actifs immobiliers à la gestion de marque

Cette pléthore de transactions reflète également la valeur que revêtent les actifs non tangibles au sein de l’industrie hôtelière. Alors que les compagnies hôtelières se défont de leurs parts immobilières, la valeur des contrats de gestion, des contrats de franchisage et des marques hôtelières reconnues internationalement est de plus en plus facile à évaluer. Lorsque la compagnie Hutchinson Whampoa, propriétaire de l’hôtel Hilton de Hong Kong, procéda à la démolition de ce dernier en 1995 pour construire à sa place un immeuble à bureaux, elle fut obligée de verser 125 millions de dollars à Hilton en compensation des 20 années qui devaient encore s’écouler avant le terme de leur contrat de gestion. Dans un étrange paradoxe, la somme fut versée non pas pour l’exploitation de l’hôtel, mais plutôt pour l’arrêt de son exploitation. Signe de la valeur potentielle d’un contrat de gestion, Hilton avait clairement établi qu’elle ne voulait pas d’un paiement de 125 millions de dollars, préférant la poursuite du contrat. Au bout du compte, elle fut toutefois obligée légalement de quitter les lieux et d’accepter le règlement. Ce cas illustre toutefois bien les changements radicaux qui ont bouleversé l’industrie hôtelière.
La croissance du franchisage a elle aussi contribué à faire changer la structure de base de l’industrie. Si Holiday Inn lança le concept avec sa chaîne de motels dans les années 1960, ce n’est que récemment que les groupes d’hôtellerie de luxe un peu partout dans le monde ont accepté de permettre aux propriétaires d’hôtels de diriger leurs établissements sous leur prestigieuse bannière. Presque toutes les principales compagnies hôtelières de la scène internationale pratiquent aujourd’hui le franchisage, dans lequel elles trouvent un véhicule gratuit de croissance rapide pour leurs marques. Le groupe Carlson a porté le concept à son extrême en vendant tous ses hôtels et en abandonnant la plupart de ses contrats de gestion. Aujourd’hui, le groupe concentre presque exclusivement ses activités dans le franchisage de ses hôtels Regent, Radisson, Park Plaza et autres.
Comme les franchiseurs hôteliers et les compagnies de gestion accordent de plus en plus d’importance à la reconnaissance internationale de leurs produits, la gestion de la marque est en voie de devenir «la» compétence à posséder pour conserver un avantage concurrentiel. Cette révolution s’est manifestée au cours des dernières années par l’embauche de professionnels de la gestion de marque – plutôt que d’hôteliers – pour diriger les plus grandes compagnies hôtelières au monde. Ian Carter, président de Black & Decker pour la région Europe, Moyen-Orient, Asie, a été nommé président-directeur général de la compagnie Hilton International en 2005. Lorsque la Hilton Corporation l’acheta l’année suivante, M. Carter fut le seul des cadres supérieurs à être retenu par la compagnie mère, au sein de laquelle il oeuvre aujourd’hui à titre de directeur général des opérations internationales.
Andrew Cosslett, président de Cadbury Schweppes pour la région Europe, Moyen-Orient, Asie, fut nommé à la tête des hôtels InterContinental à peu près au moment de l’arrivée de M. Carter au sein de la compagnie Hilton. Au cours de l’année qui suivit, les raisons de la nomination d’un cadre supérieur provenant de l’industrie de la confiserie à la direction d’une compagnie hôtelière furent expliquées au cours d’une émission diffusée sur la chaîne CNBC. L’interviewer Ross Westgate demanda en effet à M. Cosslett: «Maintenant que vous gérez des hôtels plutôt que de les posséder (vous avez vendu une grande partie des actions de la compagnie), peut-on dire que vous faites principalement de la gestion de marque?», ce à quoi le nouveau p-dg répondit: «C’est exactement ce sur quoi nous concentrons nos efforts.»
Lorsque Barry Sternlicht, fondateur des hôtels Starwood, décida de renoncer à son poste de président-directeur général, aucun des candidats à sa succession qui furent présélectionnés ne provenait de l’industrie hôtelière. Steven Heyer, président de Coca-Cola, fut finalement nommé à ce poste, principalement en raison des prouesses qu’il avait su réaliser en matière d’image de marque. Peu après cette nomination, Starwood engageait Javier Benito, président de la division américaine de vente au détail de Coke, comme vice-président exécutif.
Si la vente de bouteilles de Coca-Cola dans les supermarchés peut sembler être à des années-lumière de la location par Internet de suites à l’hôtel St. Regis, le succès des deux opérations dépend de l’efficacité de la gestion de marque. Le recrutement d’un nombre de plus en plus élevé de cadres supérieurs n’ayant pas d’expérience dans le secteur de l’hôtellerie pour diriger les plus grands hôtels du monde a des répercussions importantes sur l’univers des hôteliers, des investisseurs et des éducateurs. Si les compétences en gestion de marque sont les plus recherchées pour diriger une compagnie hôtelière internationale, quel sera le futur de l’industrie? Qu’est-ce qui fait la valeur d’une compagnie hôtelière?
Si les dirigeants hôteliers traditionnels méprisent ces tendances, les actionnaires, eux, sont euphoriques. La récente augmentation de 60% du cours de l’action du groupe IHG a persuadé les investisseurs que les compagnies hôtelières ont besoin de ce nouveau type de dirigeants à leur tête pour maximiser le rendement du capital investi. Si l’offre publique d’achat du groupe IHG se réalise, faisant profiter les actionnaires d’une hausse de 80% du cours de l’action en moins de un an, il sera difficile de les faire penser autrement.

Conclusions

La divergence croissante entre la propriété (parts immobilières), l’exploitation (gestion) et la commercialisation (distribution des produits) dans l’industrie hôtelière continuera de s’intensifier au cours des prochaines années. La «gestion» hôtelière fera uniquement référence aux activités qui ont des répercussions directes sur les frais variables d’exploitation. Les fonds de capital d’investissement, les sociétés de placement immobilier et les investisseurs institutionnels dominent le marché immobilier du secteur hôtelier. Les franchiseurs jouissent d’un avantage concurrentiel dans les ventes et la distribution. De plus en plus, les compagnies autrefois considérées comme étant au coeur de l’industrie hôtelière délaissent la simple gestion hôtelière pour se consacrer aux «affaires hôtelières».
Michael Nowlis,Tourism Control Intelligence

 

Michael Nowlis, consultant et directeur, Tourism Control Intelligence (France et États-Unis)

 

Champs d’expertise:

  • Grandes tendances dans le tourisme international : immobilier, finances, marketing, revenue management, fusions et acquisitions, sécurité, distribution électronique, ressources humaines, technologie

Voir les analyses de Michael Nowlis

Consultez notre Netiquette