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Analyses - 11 novembre 2004

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novembre 2004

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La simplification tarifaire dans l’industrie aérienne

Dans un article du USA Today, Joe Brancatelli incite les «Big Six» américains (American, Continental, Delta, Northwest, United et US Airways) à simplifier leur structure de prix, afin de pouvoir sortir de leur marasme financier. S’insurgeant contre leur entêtement à conserver leur grille de tarifs archaïque, il cite l’exemple du virage et de la réussite de la compagnie aérienne irlandaise Aer Lingus. Cet exemple nous amène à nous questionner sur la nouvelle stratégie d’Air Canada à cet égard. ++L’AVIS DE JACQUES ROY++

Expert du voyage d’affaires, Joe Brancatelli a déjà travaillé au sein de plusieurs magazines spécialisés (Frequent Flyer, Travel Holiday, Travel+Leisure). Il agit aujourd’hui à titre de consultant dans le milieu de l’édition et écrit des reportages et commentaires dans les grands médias américains (Forbes, Fortune, USA Today, etc.).

Dans son article, Brancatelli souligne que les Southwest, JetBlue, America West et plusieurs autres ont compris les bénéfices de la simplification des grilles tarifaires. Le modèle qu’il présente, Aer Lingus, est révélateur des nouvelles façons de faire qui s’installent dans l’industrie aérienne.

Keep it simple!

Pour le service transatlantique, les dirigeants d’Aer Lingus ont adopté une stratégie visant à simplifier la grille tarifaire et à réduire les tarifs.

Ils ont décidé de vendre des allers simples et de ne pas obliger la clientèle à acheter un billet aller-retour qui ne leur convient pas, sous prétexte de bénéficier d’un meilleur tarif. Ils ont aussi aboli les restrictions de temps minimum de séjour.

Ils ont fixé le prix plafond des billets en classe économique à 503 $US pour les cinq destinations qu’ils desservent aux États-Unis. La demande a réagi positivement à cette initiative et le taux de croissance du nombre de passagers a même atteint les deux chiffres sur la route de Los Angeles. Aucun autre transporteur n’ayant essayé de concurrencer les prix pour l’Irlande ou pour l’Europe via la plaque tournante de Dublin, on a observé des écarts de prix parfois importants: le billet d’Aer Lingus se situait entre 300 et 400$ et celui du compétiteur le plus près dépassait les 1000$.

Même réponse positive pour les vols en classe affaires, alors que les coupures de prix peuvent atteindre 60%. Cette section n’était souvent occupée qu’à 50%; maintenant, il y a des listes d’attente sur certains vols. Des entreprises ont même changé leur politique, afin de permettre à leurs employés de voler en classe affaires.
 
Auparavant, la grille tarifaire pouvait s’échelonner de 100 à plus de 800$ pour un aller simple, écart que la clientèle n’appréciait guère. Désormais, avec un prix plafond fixé à 500$, la différence entre le prix le plus bas et le plus élevé ne soulève plus les protestations.

Jack Foley, vice-président exécutif d’Aer Lingus, explique que l’ancienne façon de faire établissait une lutte tarifaire entre les compagnies aériennes, chacune essayant de vérifier l’adéquation des prix avec son concurrent. Désormais, la relation se situe directement avec le marché, non plus avec les autres compagnies. Ainsi, le client réagit directement aux tarifs fixés. Et jusqu’à maintenant, le marché confirme que la simplification se révèle une bonne stratégie.

Difficile de croire que cela peut aussi réduire les coûts d’opération! Mais Jack Foley soulève les points suivants:

  • Combien de sièges sont vides au retour parce que les gens sont tenus d’acheter un billet aller-retour pour bénéficier d’un meilleur tarif?
  • Combien en coûte-t-il de négocier des contrats corporatifs avec une structure de prix complexe?
  • Combien en coûte-t-il de soutenir des systèmes archaïques pour gérer une tarification compliquée ou encore de migrer ces systèmes très lourds vers de nouvelles technologies?

Qu’en est-il d’Air Canada?

Dans son plan de relance, Air Canada annonce une simplification de sa structure de prix. Confrontés aux nouvelles réalités, les dirigeants expliquent que la complexité des tarifs se révèle très coûteuse et entrave la compétitivité de l’entreprise. À l’instar d’Aer Lingus, ils n’exigent plus l’achat d’un billet aller-retour et le séjour minimum, obligatoire le samedi.

Dans un souci de transparence, les dirigeants laissent entendre que l’affichage des prix (comme l’indique le tableau suivant) permet d’établir un lien de confiance avec le client et que ce dernier est en mesure de faire un choix plus éclairé.

Lorsque l’on constate que le prix de la Classe Affaires (1495$) est huit fois supérieur à celui de Tango (182$), on peut s’interroger sur la valeur «ajoutée» offerte par cette Classe Affaires.

Il reste à déterminer si cette stratégie s’avérera gagnante pour Air Canada.

Sources:
– Brancatelli, Joe. «If they fix it, we will fly», USA Today, 31 octobre 2004.
– Woodyard, Chris. «Low fares go trans-Atlantic with Aer Lingus flight plans», USA Today, 27 septembre 2004.

L’avis de Jacques Roy

Il est tout à fait exact d’affirmer que les voyageurs d’affaires sont de plus en plus mécontents de la politique tarifaire des transporteurs réguliers conventionnels comme les Big Six américains auxquels se réfère M. Brancatelli dans son article. Une enquête réalisée auprès des voyageurs d’affaires aux États-Unis en 2002 par la Business Travel Coalition révèle notamment que la vaste majorité d’entre eux préfèrent désormais des tarifs abordables et qu’ils souhaitent les réformes suivantes dans les politiques tarifaires des transporteurs aériens:

Il faut comprendre que les politiques tarifaires traditionnelles des compagnies aériennes s’appuient sur une pratique appelée le Yield Management qui consiste essentiellement à maximiser les revenus générés par chaque vol. Pour ce faire, on offre un certain nombre de sièges à rabais lorsque l’on constate que ces sièges risquent de demeurer vides au départ du vol. Ces rabais sont généralement assortis de conditions restrictives (nuitée le samedi, séjour minimal, aucun changement permis, etc.) qui visent à décourager les voyageurs d’affaires recherchant de la flexibilité à profiter de ces rabais, les forçant ainsi à s’offrir des classes tarifaires plus dispendieuses.

Or, depuis quelques années déjà, les transporteurs à tarifs réduits comme Southwest, JetBlue, Westjet et Jetsgo ont adopté une politique tarifaire qui accorde aux voyageurs d’affaires des sièges à rabais sans toutefois exiger toutes ces restrictions. Il est donc facile de comprendre pourquoi ces transporteurs connaissent autant de succès auprès des voyageurs d’affaires. En fait, les transporteurs à tarifs réduits pratiquent eux aussi une forme de Yield Management qui consiste simplement à offrir leurs tarifs les plus bas longtemps avant le départ du vol et à augmenter les tarifs au fur et à mesure qu’on se rapproche du jour du départ et ce, en fonction du coefficient de remplissage de l’avion.

Il n’est donc pas surprenant de constater que des transporteurs réguliers conventionnels comme Air Canada aient décidé d’emboîter le pas et d’offrir à leurs clients une structure tarifaire simplifiée, tel que mentionné dans l’article ci-dessus. Qu’il suffise de se rappeler que pour le même exemple, soit un vol entre Montréal et Vancouver, les tarifs exigés par Air Canada en 2002 étaient beaucoup plus gourmands. En effet, le tarif aller-retour en classe affaires était alors de 4200$ et le plein tarif économique se détaillait à 3800$. Pour obtenir un tarif réduit de 890$, il fallait absolument prévoir une nuitée à Vancouver le samedi!   
 
Air Canada n’est pas le seul transporteur aérien conventionnel à réagir ainsi au marché. Du côté américain, le numéro un mondial en terme de trafic, American Airlines, semble également répondre à l’appel des voyageurs en établissant une nouvelle politique tarifaire à son hub de Miami qui subit la concurrence de plus en plus forte des transporteurs à tarifs réduits établis à Fort Lauderdale. Cette politique consiste à éliminer la restriction d’une nuitée le samedi et la nécessité d’acheter un billet aller-retour pour tous les vols directs connectant Miami aux autres villes nord-américaines. La nouvelle politique réduit le nombre de tarifs offerts ainsi que l’écart entre ces mêmes tarifs. Le tarif exigé pour la première classe est également réduit. Il sera intéressant de suivre l’évolution de cette politique au cours des prochains mois afin de vérifier si elle s’étendra également à d’autres aéroports.

Jacques Roy
Professeur titulaire et directeur
Service de l’enseignement de la gestion des opérations et de la production
HEC Montréal

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