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Analyses - 26 novembre 2004

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novembre 2004

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Quand l’étiquette «écotourisme» est utilisée à toutes les sauces

Pour se donner bonne conscience ou pour trouver un argument accrocheur, plusieurs entreprises apposent l’étiquette «écotouristique» sur leurs produits. L’écotourisme est vu par certains comme une approche de développement, comme un produit ou encore comme un segment de clientèle… À ce jour, aucune définition n’est universellement reconnue, mais certains préceptes y sont associés. ++ LE COMMENTAIRE DE JULIANNA PRISKIN ++

Du concept de développement durable à l’écotourisme

Gro Harlem Bruntland, alors première ministre de la Norvège et présidente de la Conférence mondiale de l’UNESCO pour l’environnement et le développement, a déposé en 1987 son fameux rapport Notre avenir à tous (plus tard connu sous le nom de Rapport Bruntland), où elle introduisait le concept de développement durable:

«un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre
la capacité des générations futures de répondre aux leurs.»

Cette notion a fait beaucoup de chemin par la suite. L’écotourisme est issu de l’union du développement durable et de l’engouement croissant pour le tourisme de nature et de plein air. L’échec de plusieurs projets touristiques en milieu naturel a aussi collaboré à l’émergence de cette forme de tourisme qui s’apparente à la philosophie du développement durable et responsable.

Qualifier d’écotourisme le tourisme d’aventure, vert, de nature, écologique, de plein air ou scientifique n’est pas juste. Chacun n’est en fait qu’une composante de l’équation.

Dans un article de la revue Téoros consacré à ce dossier, Maurice Couture souligne que «l’écotourisme constitue un phénomène relativement complexe, en évolution, qui ne s’appuie sur aucune définition universellement reconnue, bien que les mots clés suivants lui soient souvent associés:

  • observation et appréciation de la nature;
  • conservation de l’environnement naturel;
  • respect de l’environnement culturel et humain;
  • éducation et responsabilisation des clientèles;
  • bénéfices pour les milieux d’accueil.»

En fait, tout est une question de perception. Dès que l’on offre une expérience en milieu naturel, la tentation est forte d’y accoler l’étiquette. Alors que les balises sont difficiles à circonscrire, on laisse beaucoup de place à la perception du voyagiste, des responsables du marketing qui veulent donner une belle image de leur produit ou du client qui veut se donner bonne conscience. 

Comment se profile l’écotouriste?

Les chiffres que l’on publie laissent croire que le segment de marché est important, mais ils sont souvent associés au tourisme de nature. Dans un esprit plus conservateur, on estime à moins de 5% le segment des écotouristes expérimentés dans le monde. Cependant, le potentiel se révèle considérable en raison de la forte croissance des diverses formes du tourisme de nature.

Les nationalités présentant un intérêt marqué pour les produits de nature et d’écotourisme sont, dans l’ordre, les Américains, les Anglais, les Allemands, les Canadiens, les Français, les Australiens, les Néerlandais, les Suédois, les Autrichiens, les Néo-Zélandais, les Norvégiens et les Danois. Leur compréhension de la notion d’écotourisme est dans l’ensemble meilleure que celle des clientèles japonaise et asiatiques en général.

Voici le profil type associé à la clientèle expérimentée:

  • Femmes
  • Personnes de 40 à 60 ans
  • Scolarité supérieure à la moyenne
  • Professionnels ou gestionnaires
  • Voyageurs expérimentés
  • Couples ou individuels
  • Utilisateurs d’Internet pour la planification du voyage
  • Aspects recherchés: composantes culturelles, potentiels d’observation, variété des activités, qualité des contenus, compétence des guides, aires protégées
  • Affiliés à des groupes écologiques, environnementaux ou naturalistes

On pourrait aussi subdiviser le profil de l’écotouriste selon sa propension à la rigueur de la pratique et selon son niveau d’expérience.

La montée de la conscientisation liée à la protection de l’environnement et des valeurs sociales autour du globe ne peut que servir ce secteur.

Certaines destinations phares

Les pays en développement (en Afrique, en Asie et en Amérique latine) contribuent fortement à la croissance de ce secteur. Ces destinations se démarquent particulièrement par l’offre d’un mélange de paysages exotiques et d’expériences culturelles: Costa Rica, îles Galapagos, Équateur, Pérou, Népal, etc. Par ailleurs, l’Australie aussi se positionne très bien dans ce domaine.

Dans un contexte nord-américain, le Grand Canyon, les Rocheuses, l’Alaska et les parcs nationaux sont sans conteste des produits d’appel.

On peut toutefois se demander si, dans certaines destinations, l’activité écotouristique respecte réellement les valeurs qui y sont associées.

Nombreux intervenants, nombreux enjeux

Toute la chaîne d’intervenants, de l’organisme de préservation à l’entreprise qui met un produit en marché, doit collaborer pour protéger les ressources, les mettre en valeur et déterminer la façon de les rendre accessibles au public.

Outre la protection et la conservation des milieux, voici certains des enjeux auxquels est confronté ce secteur:

  • contrôle du développement;
  • conflits d’usage entre les intérêts économiques (foresterie, mines, urbanisation, etc.) et touristiques, de même qu’entre les différentes clientèles touristiques (observation de la nature et pratique «motorisée»);
  • pérennité des sentiers (vélo, marche, etc.);
  • établissement de seuils à respecter en ce qui concerne l’achalandage et les activités à pratiquer;
  • accroissement du nombre d’aires naturelles protégées;
  • adoption de cadres de référence, de paramètres et de pratiques afin de partager une vision commune;
  • développement et mise en valeur des composantes naturelles et culturelles;
  • information et formation à tous les paliers afin de susciter l’adhésion aux grands principes de l’écotourisme;
  • instauration de programmes de certification;
  • développement d’une offre diversifiée et de qualité pouvant répondre aux besoins de l’ensemble de la clientèle (du néophyte jusqu’à l’inconditionnel).

L’écoQuébec

Les éléments suivants constituent un potentiel intéressant à exploiter pour positionner le Québec comme destination d’intérêt dans ce secteur d’activité:

  • les nations autochtones;
  • les milieux naturels présentant des caractéristiques distinctives (ex.: îles Mingan, fjord du Saguenay, lac Saint-Pierre, réserve mondiale de la biosphère de l’UNESCO);
  • les phénomènes saisonniers (ex.: migration d’oiseaux, baleines, paysages d’automne);
  • les sentiers et corridors touristiques (ex.: Route verte, Sentier national);
  • la nordicité.

Mais attention! On appose malheureusement trop facilement l’étiquette «écotouristique» ou le préfixe «éco» à de nombreux produits, sans que les valeurs véhiculées par ce concept n’y soient vraiment associées.

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’émettre des certifications, mais ce mouvement n’est pas associé à une mode. Le développement durable, principe qui sous-tend l’écotourisme, fait partie de tous les discours actuels, parce que la capacité de la planète à se régénérer et à satisfaire les besoins croissants des êtres humains est de plus en plus compromise.

Il faut désormais développer intelligemment. Tous ont un rôle à jouer, le touriste y compris.

Pour en savoir plus:
Le Sommet mondial de l’écotourisme, tenu à Québec en mai 2002, a donné lieu à la Déclaration de Québec. Vous pouvez la consulter à l’adresse suivante:
http://www.world-tourism.org/sustainable/IYE/quebec/francais/declaration_f.html

On peut consulter le plan d’action de Tourisme Québec en matière d’écotourisme à l’adresse suivante:
Nature et tourisme au Québec – Orientations et plan d’action 2003-2008
 Sources:
– Couture, Maurice. «L’écotourisme en 2002 et après?», Téoros, vol. 21, no 3, automne 2002, p. 3-4.
– Couture, Maurice. «L’écotourisme – un concept en constante évolution», Téoros, vol. 21, no 3, automne 2002, p. 5-13.
– Couture, Maurice. «Nature et tourisme: l’écotourisme au Québec en 2002», Téoros, vol. 21, no 3, automne 2002, p. 43-49.

Commentaires du professeure Julianna Priskin

Expert associé au Réseau de veille en tourisme, Mme Julianna Priskin est professeure en écotourisme et développement régional au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal. Voici ses commentaires au sujet de l’analyse intitulée «Quand l’étiquette écotourisme est utilisée à toutes les sauces».

Dans cet article, on fait bien ressortir l’imprécision qui existe entre les notions d’écotourisme et de tourisme durable. Comment s’en étonner puisque ces deux concepts, qui ne représentent pas la même chose, n’ont pas de définition universellement reconnue. On ne devrait accoler l’étiquette écotouristique à une activité qu’à la condition de respecter un certain nombre de principes.

L’écotourisme est une forme de tourisme qui se déroule dans un environnement naturel. Il s’inscrit donc dans le contexte plus général du tourisme de nature. Mais l’écotourisme se distingue des autres formes de tourisme de nature, en ce qu’il est le seul à contribuer à la conservation de la nature, à la sensibilisation environnementale (volet éducatif) et au bien-être de la population hôte.

Alors, comment faire la distinction, en termes concrets? Si vous passez la journée à faire du kayak sur un lac ou une rivière et que vous rentrez chez vous le soir, vous vous livrez à une simple activité de loisirs ou de plein air. Si vous faites du kayak dans un parc national et passez la nuit dans une auberge ou dans le terrain de camping du parc, vous faites du tourisme de nature. Comme le kayak exige un effort physique et peut faire courir un certain degré de risque (selon le cours d’eau choisi), on peut le considérer comme une forme de tourisme d’aventure «douce». Toutefois, si vous pratiquez le kayak dans un parc national, en compagnie d’un guide formé et expérimenté qui vous renseigne sur votre environnement naturel et les moyens de le conserver, et que votre séjour est organisé par un voyagiste, alors vous vivez probablement une forme d’écotourisme. Dans quelle mesure? Cela dépend d’une foule d’autres facteurs, mais en règle générale, l’écotourisme :

  • contribue directement à la conservation de la nature, par des moyens financiers, par exemple, ou par la participation à des activités de gestion environnementale;
  • sensibilise le touriste à l’environnement, au moyen d’une promenade commentée dans un parc national en compagnie d’un guide professionnel qui fournit un enseignement sur l’écologie du lieu;
  • illustre l’adoption de politiques et de pratiques qui réduisent les impacts biophysiques des activités des clients et de l’entreprise: ainsi, un chalet qui utilise des technologies permettant de réduire la consommation d’énergie ou d’eau, ou dont les occupants prônent des pratiques de recyclage ou de réduction des déchets;
  • contribue favorablement au bien-être de la population hôte en créant de l’emploi et en faisant en sorte que les profits ne soient pas tous drainés hors de l’économie locale; et
  • respecte la culture de la population hôte, par exemple en la faisant participer à la planification de l’activité touristique.

En principe, il faudrait répondre à tous les facteurs énumérés plus haut pour mériter l’appellation d’écotourisme. Mais en pratique, une entreprise qui répond à un ou deux de ces critères peut souvent qualifier ainsi ses activités. C’est malheureux, car il devient ainsi impossible de distinguer les véritables produits écotouristiques de ceux qui ne le sont que partiellement. Il serait donc utile d’adopter pour chaque critère des indicateurs de performance, quantitatifs et mesurables, grâce auxquels on pourrait situer sur une échelle le «degré d’écotourisme» de chaque activité. C’est d’ailleurs le principe qui sous-tend bon nombre des étiquettes d’accréditation actuelles. Mais, tout comme l’usage de définitions différentes pour représenter un même concept, la multiplication des étiquettes crée en fait beaucoup d’incertitude, ce qui n’est pas du tout souhaitable pour un secteur d’activités aussi répandu que le tourisme.

Pour ajouter au caractère nébuleux des termes vus ici, plusieurs définitions exigent que l’écotourisme soit une forme de développement durable – une notion elle-même encore plus nébuleuse. On peut dire simplement que le développement durable est un cadre de développement qui vise le long terme et qui s’applique à toutes les sociétés et à tous les secteurs économiques. Il s’agit aussi d’une idéologie qui a pour objectif de trouver l’équilibre entre l’économie, la société et les ressources biophysiques dont tout le reste dépend. Il va de soi qu’un tel idéal devrait aussi s’appliquer au tourisme.

Le tourisme durable constitue une forme de tourisme qui se développe et se gère de manière à rester viable, du point de vue social, économique et environnemental, et ce, de génération en génération. Il s’agit aussi d’une forme de tourisme qui ne nuit en rien au développement d’autres activités dans la même région. Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le tourisme durable doit :

  • faire un usage optimal des ressources environnementales;
  • respecter l’authenticité socioculturelle des communautés hôtes; et
  • procurer des avantages socioéconomiques à tous les intervenants.

Les règles directrices pour le développement durable du tourisme et les pratiques de gestion qui s’y rapportent s’appliquent à toutes les formes de tourisme, ainsi qu’à toutes les destinations. Un centre de tourisme de masse situé sur une montagne ou sur une plage peut évaluer son degré actuel de durabilité et adopter des mesures qui amélioreront son rendement. Il est vrai que certains secteurs touristiques peuvent plus facilement que d’autres réaliser un tel idéal, mais tous peuvent faire quelque chose. Depuis plus d’une dizaine d’années, on a produit une abondante documentation expliquant comment générer un tourisme durable, mais en pratique, il reste encore de nombreux défis à relever.

À bien des égards, l’écotourisme peut réellement contribuer à la concrétisation d’un idéal de tourisme durable. Et comme l’écotourisme et le développement durable présentent de nombreux avantages pour la société et l’environnement, il serait bon d’évoluer dans ce sens, quelle que soit la difficulté.

Julianna Priskin
Professeure en écotourisme et développement régional
Département d’études urbaines et touristiques
UQAM

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