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Analyses - 20 décembre 2005

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décembre 2005

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Personnalisation des prix, stratégie audacieuse ou fallacieuse?

Est-il farfelu de croire que, dépendamment de leur historique de navigation, les internautes n’ont pas toujours accès aux mêmes rabais lorsqu’ils interrogent un site de voyage sur Internet? Certainement pas. Pour les consommateurs, Internet procure l’immense avantage de pouvoir comparer aisément les prix. L’envers de la médaille, c’est qu’il constitue aussi un formidable outil de collecte d’information fine en ce qui concerne le profil de consommation des internautes. Internet offre désormais aux entreprises une multitude de nouvelles approches pour ajuster efficacement leur tarification afin d’accroître leur marge bénéficiaire.

Attention vous êtes pistés!

Grâce à la technologie utilisée par les navigateurs, les entreprises ont désormais le pouvoir d’emmagasiner un historique des habitudes d’achat de leur clientèle, leurs préférences, leurs ressources financières, etc. Certaines compagnies se servent judicieusement de ce type de renseignements stratégiques alors qu’elles ajustent leur tarification en fonction du profil de l’usager.

Selon Charles Leocha, journaliste à MSNBC.com, des agences de voyages comme Expedia utilisent des logiciels sophistiqués qui analysent, grâce aux cookies acheminés aux internautes, les transactions antérieures de la clientèle. L’affichage des résultats de recherche d’une requête peut alors varier en fonction du profil enregistré. Ainsi, s’il s’avère que l’internaute a obtenu davantage de prix élevés ou des tarifs à rabais en nombre moindre, c’est possiblement parce que le système l’identifie comme un «bon consommateur» susceptible d’acheter à haut prix. Il s’agit en fait d’une manière subtile d’empêcher un certain profil de clientèle d’acheter les prestations les moins chères. On pourrait comparer cela à interdire aux mieux nantis l’accès aux magasins à un dollar!

Un exemple bien concret

Ce type de pratique commerciale peut sembler sortir tout droit de la paranoïa du big brother, mais il semble pourtant que nous soyons beaucoup plus près de la réalité que de la fiction. Les dirigeants des agences de voyages en ligne prétendent que de tels biais n’existent pas, mais pourtant…

Afin de démontrer concrètement la véracité de cette hypothèse, nous avons effectué un test au sein de l’équipe du Réseau de veille en tourisme. Nous avons fait une simple requête sur le site canadien d’Expedia pour un billet d’avion de Montréal (Dorval) à Paris (Charles de Gaulle), départ le 8 janvier 2006 et retour le 15 du même mois. Or, pour des recherches réalisées au même moment, sur trois postes de travail différents, nous avons obtenu trois résultats distincts (voir les illustrations). 

Profil 1

Dans le cas du profil 1, on nous offrait, comme meilleur prix, un vol avec escale à 800$, ou encore un vol à 2 escales ou plus, mais aucun choix de lien direct. Quant au profil 2, nous avons encore obtenu un vol à 800$, mais, cette fois, on nous offrait la possibilité d’acheter un vol direct à 978$. Finalement, au profil 3, on nous proposait un vol à un prix pour le moins surprenant:  699$, soit 101$ moins cher que les précédents! Il s’agissait pourtant exactement de la même prestation (profils 2 et 3) avec US Airways, aux mêmes heures de départ.

Profil 2

Profil 3

Une politique d’entreprise qui réserve des surprises

La politique d’entreprise d’Expedia à l’égard de l’utilisation de l’information colligée auprès de la clientèle nous apprend que:

      «

Expedia.com collects certain technical information from your computer each time you request a page during a visit to Expedia.com. This information is collected from your computer’s Web browser to enhance your experience on our site…

    »

Peu de consommateurs sont conscients de telles possibilités de manipuler les données personnelles des internautes pour en faire ce que certains experts appellent du marketing psychologique. Le Annenberg Center de l’université de la Pennsylvanie s’est intéressé au phénomène dans une étude intitulée Open to Exploitation, réalisée en juin 2005.

Les résultats confirment une certaine naïveté de la part des consommateurs, alors que 68% des internautes américains croient que des sites comme Expedia ou Orbitz, qui permettent la comparaison de prix, ont l’obligation légale d’afficher les plus bas prix disponibles. De plus, 87% des gens interrogés ont mentionné qu’ils s’objectaient fortement à ce que les entreprises en ligne appliquent une tarification différente pour un même produit en fonction de l’information recueillie auprès de la clientèle à propos de leurs habitudes de consommation.

Parfois douteux mais légal… prescrire avec précaution

La personnalisation des prix constitue donc une pratique bien réelle et, contrairement à la croyance populaire, demeure tout à fait légale. Tant que la discrimination ne se base pas sur un facteur tel que la race, la religion, la nationalité ou le sexe, il n’y aucun problème. Il faut aussi convenir que certaines approches similaires ne datent pas d’hier si l’on considère, par exemple, les politiques de prix spéciaux accordés aux jeunes ou aux personnes âgées. 

Il est tout à fait légitime pour les dirigeants de s’intéresser à ce type de gestion puisque cela s’inscrit dans la mouvance du yield management et parce qu’ils doivent répondre aux exigences des actionnaires. En effet, une entreprise n’offrant qu’un seul prix en toute circonstance peut très certainement satisfaire la clientèle, mais elle se prive assurément d’un meilleur potentiel de rentabilité.

Le phénomène d’optimisation des prix n’a donc rien de nouveau. La différence majeure vient du fait qu’Internet offre aux entreprises une multitude de nouvelles approches pour ajuster efficacement leur tarification. Puisque les consommateurs ne sont pas encore au fait d’une possible personnalisation des prix, les entreprises qui s’y adonnent doivent demeurer très prudentes afin de ne pas susciter d’insatisfaction et de préserver la fidélité de la clientèle.

Il est indéniable qu’Internet offre aux entreprises la possibilité d’acquérir une information hautement pertinente et stratégique sur la clientèle, de manière à jumeler des segments de gens à des prix différents pour le même produit. Les outils techniques permettent non seulement d’étudier le comportement d’achat des internautes, mais aussi le comportement de non-achat, c’est-à-dire lorsqu’ils ne font que chercher de l’information.

Dans un contexte où Internet joue un rôle de plus en plus important par rapport aux GDS (global distribution systems) au sein du réseau de distribution, les agences de voyages interrogent de plus en plus la toile pour obtenir des prix. Une autre question peut alors se poser: qu’arrive-t-il lorsqu’un agent de voyages consulte Internet pour servir sa clientèle? Pourrait-il se voir pénalisé en raison de son utilisation intensive de sites qui pratiquent la tarification dynamique?

Les entreprises touristiques ayant la capacité technologique de le faire doivent se poser une grande question: est-il rentable de chercher à tirer profit du dossier électronique de la clientèle afin de mettre en pratique une tarification dynamique? 

Une arme à deux tranchants

Les gestionnaires cherchant à définir leurs stratégies Web relatives à la tarification dynamique doivent les définir minutieusement. D’abord, est-il préférable d’offrir de meilleurs rabais à la clientèle qui visite leur site fréquemment, mais qui achète rarement, ou à celle qui se montre loyale et qui magasine peu ailleurs? Il s’agit d’un délicat débat puisque, en effet, une entreprise peut prendre la décision d’offrir un prix plus élevé à un bon client qui achète assidûment en prenant le pari que sa fidélité l’aveugle quelque peu et qu’il n’ira pas voir ailleurs. Elle peut aussi adopter une stratégie opposée, à savoir récompenser la loyauté de sa clientèle en lui proposant les meilleurs tarifs possibles.

L’enjeu est énorme, car de mauvaises décisions risquent d’entraîner une érosion significative de la clientèle. En contrepartie, éliminer d’emblée toute forme de tarification dynamique, c’est aussi se priver d’intéressantes marges bénéficiaires qu’il serait difficile d’atteindre autrement. S’ils veulent faire un choix éclairé, les dirigeants devront analyser tous les paramètres susceptibles de les guider en cette matière. Ils devront notamment tenir compte non seulement de la fréquence de visite de l’internaute sur le site, mais aussi de la période de fréquentation, du type de produits achetés, de la marge bénéficiaire des transactions précédentes, etc.

Attention au retour d’ascenseur

Comme la pratique de la tarification dynamique demeure très embryonnaire, les entreprises peuvent encore profiter d’un important degré de naïveté de la part des consommateurs. Toutefois, à plus long terme, les organisations qui miseront trop intensément sur cette approche sont susceptibles d’en payer le prix. 

Il existe d’ailleurs un risque réel de voir se multiplier des intermédiaires qui permettront d’assurer une riposte aux entreprises dites «fautives» d’un excès de cupidité. Ces initiatives auront comme objectif de dénoncer les pratiques abusives et pourraient, par exemple, proposer un classement des sites Internet de voyages les «plus honnêtes» et tenter de protéger, voire d’éloigner les consommateurs des entreprises trop manipulatrices. 

Bien qu’il soit difficile de mesurer adéquatement l’étendue de l’utilisation de la tarification dynamique au Québec, on peut certes supposer que peu d’organisations ne l’aient encore adoptée. Même si les entreprises ont la possibilité technique d’amasser une kyrielle de renseignements sur leur clientèle internaute, rares sont celles qui le font pour fin d’analyse. D’autres n’ont simplement pas les ressources nécessaires pour collecter ce type d’information efficacement.

Les gestionnaires voudront très certainement peser le pour et le contre avant de se lancer aveuglément dans la tarification dynamique. Toutefois, il existe une formidable richesse d’information stratégique qu’il est possible d’extraire par l’analyse des clics de souris. À défaut d’aller jusqu’à personnaliser leur tarification, les entreprises gagneraient, à tout le moins, à obtenir une connaissance plus fine de leurs visiteurs internautes, clients ou pas.

Sources:
– Elliott, Christopher. «A Low-Fare Browser?», National Geographic Traveler, juillet-août 2005.
– Feldman, Lauren, Joseph Turow et Kimberly Meltzer. «Open to Exploitation: American Shoppers Online and Offline», Annenberg Public Policy Center of the University of Pennsylvania, juin 2005.
– Knowledge@Wharton. «What Consumers – and Retailers Should Know about Dynamic Pricing», Hotel News Resource [www.hotelnewsresource.com], 2 décembre 2005.
– Kontzer, Tony. «Online Shoppers Growing Wary Of Sharing Data», InformationWeek, 15 août 2005.
– Ramasastry, Anita. «Web Sites Change Prices Based on Customers’ Habits», CNN [www.cnn.com], 24 juin 2005.
– Ramasastry, Anita. «Websites That Charge Different Customers Different Prices: Is Their ‘Price Customization’ Illegal? Should It Be?», FinLaw, 20 juin 2005.

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