Adaptation en temps de pandémie : le cas Ultra-Trail Harricana

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Mathilde Plard Mathilde Plard

Bien que la course en sentier gagne en popularité au Québec, les événements la célébrant ont la vie dure depuis le début de la pandémie. Voici comment l’Ultra-Trail Harricana, dans Charlevoix, maintient le cap.

Créativité et solidarité d’une communauté

Le sport, l’ensemble de ses acteurs et l’industrie du plein air ne sont pas épargnés par la pandémie de la COVID-19. Au Québec, le secteur en plein essor du trail-running ou de la course en sentier a tenté de faire face à cette situation en étant solidaire, uni et innovant dans les réponses apportées à la crise. Attentifs aux relations qui unissent les événements de course en sentier et leurs territoires, nous prenons l’Ultra-Trail Harricana du Canada (UTHC) comme exemple d’événement sportif ancré dans son territoire, en évoquant comment ce dernier s’est ajusté face à la crise de la COVID-19. Il s’agit également de mettre en lumière le potentiel que recouvrent ces événements sportifs pour l’industrie du plein air au Canada en tant que secteur d’avenir.

Le milieu de l’événementiel sportif à travers le monde a été durement impacté par la crise du fait des multiples mesures d’interdiction de la tenue d’événements avec un public nombreux (jusqu’à la mi-juillet en France et au 31 août au Québec). C’est donc l’ensemble du champ sportif qui a vu ses activités suspendues : des plus grandes compétitions annulées ou reportées (Jeux olympiques, NBA, Euro-2020, UEFA Champions League, Rolland Garros, Formule 1, etc.) jusqu’aux championnats ou événements amateurs ayant une emprise territoriale plus restreinte. Le secteur des événements de course à pied est lui aussi victime de cette situation et l’intégralité des rassemblements et des épreuves en France et au Québec a été interrompue durant la période du confinement.

Un succès en plein air

L’Ultra-Trail Harricana du Canada n’est pas, pour le moment, une victime collatérale de la crise de la COVID-19, l’événement ayant lieu chaque année au mois de septembre. Il n’en reste pas moins que sa tenue n’est pas garantie tant qu’une solution pérenne n’aura été trouvée pour répondre aux mesures sanitaires en vigueur. L’UTHC constitue un exemple d’adaptation dans une période de grande instabilité.

Les courses se déroulent au cœur de la forêt dans une réserve naturelle protégée et classée par l’UNESCO. Les parcours suivent les pistes de ski de fond du centre du Mont Grand-Fonds, traversent Charlevoix, ainsi que le Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie[1]. En quelques années, cet ultra-trail est devenu un événement incontournable de la course en sentier au Canada et dans le monde (étape officielle de l’Utra-Trail World Tour/UTWT).

Gérer la crise et appliquer ses valeurs

Avec la pandémie de la COVID-19, l’UTHC a été confronté à l’enjeu de la communication en temps de crise auprès de sa communauté de pratiquants et d’adeptes. L’organisation a pris le parti de la transparence. Sa directrice générale, Marline Côté, s’est exprimée librement sur ses doutes et ses appréhensions dans la presse : « Au cours des derniers mois, l’équipe de l’Ultra-Trail Harricana a vécu beaucoup d’étonnement, d’incrédulité, et de difficulté à comprendre ce qui se passe (…) On a dû passer en mode solution. On a réfléchi à des plans B pour traverser une éventuelle annulation qui aurait été difficile » (Côté, 2020, en ligne).

L’UTHC a également réussi à se mobiliser et à se recentrer autour de ses valeurs fondatrices : la solidarité et l’entraide. En effet, les instigateurs décidèrent initialement de créer l’UTHC pour soutenir l’un des leurs, atteint de la sclérose en plaques. Depuis ses débuts, l’organisation a réussi à récolter plus de 200 000 $ en faveur de la Société canadienne de la sclérose en plaques (SCSP). La crise actuelle était donc pour la structure un instant de vérité pour mettre en pratique les valeurs défendues. C’est ainsi que l’UTHC a soutenu les producteurs et partenaires locaux de l’événement en incitant sa communauté à acheter en ligne leurs produits locaux.

« Un partenaire devrait être plus qu’un logo sur une affiche. C’est d’abord une relation humaine entre des gens qui partagent des intérêts et des affinités ».Marline Côté (2020)

Au Québec, s’unir et s’adapter

Après l’annonce du gouvernement du Québec de l’annulation des événements jusqu’au 31 août 2020, les organisateurs de course en sentier du Québec se sont réunis. Ce sont ainsi une dizaine d’entre eux qui réfléchissent collectivement aux solutions à mettre en œuvre. Ils essaient alors de penser aux adaptations possibles permettant de garantir le respect de la distanciation physique et la sécurité sanitaire des participants. Être solidaire, c’est donc se soutenir entre événements et ne pas se mettre délibérément en situation de concurrence à l’image de ce qui peut se passer en France. Dans l’Hexagone, le report des dates de plusieurs marathons à l’automne a entrainé des conflits d’horaires entre plusieurs événements. Au Québec, les résultats des échanges entre organisateurs permettront finalement de rassurer les futurs participants sur le fait que les compétitions pourront reprendre de façon sécuritaire.

Comment envisager l’édition 2020 d’une course en sentier et les suivantes ? Comment conserver ce lien à la communauté de pratiquants et au territoire ? Pour se prémunir face à l’évolution incertaine de la pandémie, les plus courtes distances (5 km, 10 km et 28 km) ont été annulées et les grandes distances maintenues (65 km, 80 km et 125 km). Pour compenser la suspension des plus courtes distances, celles-ci ont été offertes durant l’été grâce à l’opération estivale du club « Harricana tout l’été ». En s’inscrivant, les participants peuvent relever le défi du « Loup solitaire Harricana Lone Wolf 28 km et 10 km ». Celui-ci donne aux concurrents la possibilité de venir courir dans l’environnement de course habituel qui est balisé pendant toute la saison estivale (du 27 juin au 13 septembre 2020) en respectant les règles sanitaires des autorités. Les temps sont enregistrés grâce aux traces GPS partagées par les participants, ce qui permettra d’établir un classement et d’organiser une finale la semaine de la tenue de l’UTHC en septembre 2020. En définitive, cette initiative offre à l’UTHC l’occasion de soutenir la région de Charlevoix en promouvant le territoire et sa forêt comme destination touristique et sportive malgré la crise de la COVID-19.

La course en sentier : une ressource territoriale au service du tourisme

Plus ces événements sportifs grandissent et gagnent en popularité, plus ils contribuent à promouvoir les territoires où ils se déroulent. En ce sens, les liens entre un événement de course de pleine nature et son territoire ne sont plus à prouver. Comme l’a bien démontré le sociologue O. Bessy dans ses travaux sur l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB®), ce type d’événements apporte trois niveaux d’effets différents dans leur relation aux territoires d’accueil. Premièrement, ils génèrent de la fréquentation et permettent de faire rayonner un territoire en contribuant à sa notoriété (Axe 1). Deuxièmement, ils créent ou confortent une destination touristique (Axe 2). Troisièmement, ils participent à l’imagerie du lieu et aux représentations associées à cet espace (Axe 3).

Au niveau économique, devant l’affluence et la popularité que connaît la course de sentier à travers le monde, dont au Québec, les retombées peuvent être substantielles pour le territoire, pour ses acteurs ainsi que pour l’événement. En France, là où l’engouement pour le trail a pris une longueur d’avance, les retombées économiques peuvent être très importantes et s’évaluer en milliers, voire en millions d’euros pour les plus grands ultra-trails. À titre d’exemple, voici une estimation des retombées pour certains grands événements :

Il faut considérer que ces épreuves diffèrent souvent des courses sur route. Les longues distances imposent une logistique et un temps de présence plus conséquent sur place, les participants étant souvent accompagnés lors des courses et de leur séjour.

 

En définitive, la crise de la COVID-19 représente un instant privilégié d’observation et de mise à l’épreuve des liens qui unissent les événements de course en sentier comme l’UTHC, leur territoire d’appartenance (la région de Charlevoix) et le secteur dans le lequel ils s’insèrent socioéconomiquement (le milieu de la course en sentier). L’engouement pour le trail-running au Québec représente une occasion pour les territoires et plus largement pour l’industrie du plein air de bénéficier des retombées générées par ce secteur d’avenir. La solidarité et l’organisation dont ont réussi à faire preuve les organisateurs de courses à pied et de trails au Québec au cœur de cette crise témoignent des valeurs véhiculées par ce sport. Contrairement à d’autres types d’événements sportifs, l’UTHC illustre donc le succès des courses en sentier à conjuguer trois notions qui apparaissent parfois contradictoires : développement durable, territorial et économique.

 

Remerciements : Les auteur(e)s remercient l’Ultra Trail Harricana et Marline Côté — directrice générale de l’événement — pour leur précieuse collaboration.

 

Image à la une : https://unsplash.com/photos/8TJbrQGKFyU

 

Présentation des auteurs : Mathilde Plard et Aurélien Martineau

Mathilde Plard, chercheuse en France au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et Aurélien Martineau, postdoctorant à l’Université d’Angers ont pour objet de recherche la course en sentier à travers la France et le Québec. La pandémie de la COVID-19, période de crise sanitaire mondiale inédite, a représenté un temps d’observation privilégié pour leurs recherches. Ils ont analysé les dynamiques à l’œuvre dans le secteur de l’événementiel sportif et de la course de pleine nature en s’intéressant particulièrement à l’évolution des relations entre les territoires, les événements sportifs, le tourisme d’aventure et l’industrie du plein air.

[1] https://mathildeplard-observatoirededistances.com/ultra-trail-harricana-du-canada-uthc/