Alors que les centres-villes se transforment, le placemaking constitue une belle avenue de dynamisation.
La pandémie a marqué un jalon important dans l’évolution des centres-villes, notamment en généralisant le télétravail. Qu’il soit total ou partiel, il exerce une forte influence sur le dynamisme urbain. Le haut taux d’inoccupation des commerces et des espaces de bureaux, dû aussi à la flambée des prix de l’immobilier et des loyers, mine également l’ambiance. Un centre-ville moins fréquenté peut jouer sur la perception de sécurité et dissuader les visiteurs d’aller y flâner, provoquant un effet domino. Les fermetures de bars et de restaurants bien implantés dans le paysage culturel et les difficultés financières de festivals reconnus pour leur animation de rue teinteront certainement l’atmosphère de certains milieux urbains. Ces enjeux touchent de nombreuses destinations à travers le monde, qu’il s’agisse de Montréal, de New York ou de Londres.
Aller en ville pour se divertir
Malgré ces difficultés vécues dans plusieurs secteurs économiques, la désirabilité des centres-villes par les gens qui les habitent demeure bien présente. C’est ce que dévoile un sondage de la firme en architecture et planification urbaine Gensler réalisé en 2023 auprès de 26 000 résidants et travailleurs dans les centres-villes (quartiers d’affaires) de 53 villes à travers le monde (dont Toronto et Vancouver pour le Canada).
Pour environ les ¾ des répondants, leur centre-ville est « super » ou formidable pour manger au restaurant, pour s’amuser, magasiner… et pour travailler. Ils sont aussi nombreux à le trouver formidable pour assister à des spectacles et des expositions et découvrir des nouveautés.
Une autre preuve que l’attractivité urbaine semble toujours opérer : les 2/3 des travailleurs hybrides (partiellement en télétravail) trouvent des raisons d’aller en ville à d’autres moments que pour y travailler. Ce n’est donc pas surprenant de lire qu’ils désirent y trouver une offre intéressante de loisirs, de magasinage et de culture. Près de 9 travailleurs hybrides sur 10 affirment qu’ils visiteraient le quartier des affaires plus souvent si on y proposait davantage d’options de divertissement.
Donner vie aux espaces publics
Pour maintenir et accentuer l’effervescence des centres-villes, l’une des avenues consiste à créer des lieux qui stimulent la fréquentation. Le monde attire le monde, et c’est d’autant plus vrai en milieu urbain.
À l’occasion de l’édition 2024 du colloque de l’organisme Rues principales, Jérôme Barth, conseiller en urbanisme et fondateur de Belleville Placemaking, est venu présenter des cas d’animation d’espaces publics et des facteurs de réussite. L’approche qu’il préconise est la collaboration entre les milieux public et privé. Il considère que cette combinaison permet de poursuivre l’intérêt public, la vision à long terme des instances en place, tout en bénéficiant de l’agilité et de la rapidité du secteur privé pour aménager et programmer l’animation des lieux.
Le placemaking ?
Les parcs et les places publiques sont au cœur de l’animation urbaine. Le type d’appropriation de ces lieux par la population dépendra de plusieurs facteurs. De superbes espaces peuvent être désertés par manque d’activités ou de connexions avec la trame commerciale (cafés/restaurant/bars) environnante. C’est là que le placemaking, soit l’art de créer des lieux vivants qui attirent les gens, prend toute son importance.
Selon M. Barth, la programmation et les usages d’un lieu doivent être identifiés avant le design et l’aménagement. Pour y parvenir, la communauté doit être impliquée, les résidants comme les citoyens corporatifs, afin d’identifier les besoins, les désirs, mais aussi les possibilités de financement et le modèle d’affaires (ex. partenariats avec les restaurateurs environnants).
Avoir une stratégie de programmation
L’accueil de grands événements et de festivals participe certainement à générer de l’affluence ponctuelle dans ces places publiques, mais selon Jérôme Barth, c’est l’animation quotidienne qui nécessite le plus de travail de la part des organismes gestionnaires des lieux. Il évoque l’idée de la pyramide où la base sera garante du succès de la place publique.
Connecter l’activité commerciale à l’espace public
« Il faut cesser, en Amérique du Nord, de créer des places publiques qui sont déconnectées de l’espace bâti. » Voilà une affirmation sur laquelle insiste M. Barth. Le parallèle avec les exemples européens l’illustre parfaitement. Sur le vieux continent, l’activité des cafés et des restaurants déborde bien souvent dans l’espace public, ce qui contribue à la vivacité du lieu, à une animation naturelle. Au Canada comme aux États-Unis, les squares, parcs et autres sites ouverts sont encadrés de rues, créant une barrière physique et empêchant la transmission de cette énergie vers la place.
Pour connecter cette activité commerciale à l’espace public, il suggère deux approches. La première consiste simplement à fermer un axe de circulation secondaire pour relier la place publique au front bâti. La ville de New York l’a fait à de nombreux endroits grâce au NYC Plaza Program. Le processus de transformation passe d’abord par une période pilote où la voie de circulation est bloquée temporairement et pourvue de mobilier pour offrir un aperçu de l’expérience. Lorsque celle-ci est concluante, la Ville procède à un aménagement permanent.
« Il faut cesser, en Amérique du Nord, de créer des places publiques qui sont déconnectées de l’espace bâti. »
La seconde approche implique de réintroduire l’activité commerciale au sein de l’espace public. C’est cette alternative qui fut employée pour le Bryant Park, à New York.
Un exemple inspirant : Bryant Park
Le Bryant Park est situé en plein cœur de Manhattan et représente une illustration idéale de placemaking. Pour favoriser sa fréquentation continuelle, une programmation riche, variée, quotidienne et attractive est élaborée et révisée, selon les succès et les moins bons coups. Pour en faire un lieu de destination, une offre alimentaire diversifiée et de qualité s’est développée à différents endroits dans le parc. Des restaurants, des kiosques alimentaires, des cafés et des bars s’y côtoient. Le mobilier urbain y est très abondant. Quelque 3000 chaises mobiles sont à la disposition des visiteurs, leur offrant ainsi la liberté de s’installer au soleil ou à l’ombre, dans l’herbe ou sur une terrasse. Voici quelques composantes clés d’un espace public attrayant, selon M. Barth :
- Restauration, cafés, buvettes
- Événements musicaux
- Activités sportives de groupe (ex. Séances de yoga)
- Animation 4 saisons — aménagement estival/hivernal
- Espaces conviviaux, confortables, ombragés
- Toilettes
- Propreté
- Sentiment de sécurité
- Esthétisme
- Éclairage
- Communication (panneaux sur place, médias sociaux)
Depuis 1980, c’est la société Bryant Park Corporation, un organisme privé à but non lucratif, qui gère le parc avec un budget annuel de 25 millions de dollars, entièrement autogénérés, soit 100 fois plus qu’à l’époque où il était géré par la Ville. Quelque huit millions de visiteurs le fréquentent chaque année pour assister à plus de 1000 événements.
Le reflet de la destination
Ces espaces vibrants se font le reflet des activités d’une population, ainsi qu’une vitrine culturelle et artistique. Si les centres-villes sont moins associés au travail, ils prendront davantage le rôle de milieux de vie, de tiers-lieux, soit d’endroits entre le travail et la maison où il fait bon flâner et prendre part à cette effervescence qui caractérise depuis toujours les centres-villes. Les touristes à la recherche de lieux et d’activités authentiques fréquentés par la population locale se délectent de ces endroits.
Image à la une : Bryant Park