Julie Payeur 
Les expériences sonores offrent un angle intime permettant un lien émotionnel fort, un contexte particulièrement propice à la découverte de lieux culturels.
Les expériences d’immersion sonores permettent la découverte d’un lieu culturel sous un nouvel angle. Elles façonnent un espace plus intime grâce à un discours axé sur l’humain et les émotions facilitant ainsi l’engagement des auditeurs. Elles favorisent l’écoute active dans un monde submergé de contenus rapides et éphémères.
D’après les spécialistes du programme Réinventer le patrimoine, les expériences en immersion sonore se définissent comme un parcours dans un espace physique enrichi par des contenus mis à disposition des visiteurs. Majoritairement transmis par des casques d’écoute, les contenus peuvent être diffusés de façon localisée, déclenchés automatiquement lors de la déambulation grâce au repérage par des balises ou sur action du visiteur (ex : activation d’un code QR).
Les voyageurs recherchent des approches multisensorielles qui génèrent davantage d’émotions et offrent une plus grande connexion avec un lieu. Pour l’industrie touristique, c’est une bonne occasion à saisir. Le sujet vous intéresse ? Tendez l’oreille !
Sublimer le patrimoine
À l’abbaye française de Noirlac, à proximité de Bruges, le son est le fil d’Ariane de la visite de ce site désacralisé datant du 12e siècle. Le projet actuel, résoNance, est dédié aux paysages sonores et aux arts de la parole, faisant écho au silence et à l’écoute, notions fondatrices de l’ordre cistercien.
Les responsables du projet veulent faire comprendre et ressentir l’essence du lieu en respectant les enseignements qui ont prévalu à sa construction. Cela consiste notamment à mettre le visiteur en relation directe avec des œuvres sonores originales dans l’acoustique du bâtiment.
Le visiteur, un petit guide imprimé à la main, peut déambuler dans le monument, librement ou selon un parcours suggéré de huit stations. Dans une atmosphère générale de grande quiétude, il découvre chaque nouvel espace assorti d’une proposition sonore et musicale. De nombreux capteurs de présence accompagnent et anticipent ses déplacements de façon à organiser sa visite.
Par exemple, dans le réfectoire, des artistes ont redonné voix à quelques courts passages tirés des sermons de Saint-Bernard de Clairvaux, qui étaient autrefois racontés par le moine lecteur au sommet de la chaire.
« Pour connaître le vrai, l’ouïe est supérieure à la vue » — Bernard de Clairvaux, moine fondateur de Noirlac au 12e siècle.
Ludifier l’expérience par le son
Dans la région de Bordeaux, le château ducal de Cadillac en collaboration avec la startup Tamanoir, transporte les visiteurs au 17e siècle grâce à une expérience à mi-chemin entre un jeu d’évasion et une performance artistique. L’activité « Le banquet » est un complément à l’exposition temporaire Tables d’exception; les visiteurs sont invités à résoudre une enquête mystérieuse dans la demeure du duc d’Epernon dans les cuisines du bâtiment.
Comme le démontre brièvement la vidéo suivante, les participants, munis d’un casque d’écoute, s’immergent dans un univers sonore où les bruits de couverts et les conversations incessantes des convives s’entrechoquent. Au-delà d’une simple écoute, le scénario du jeu demande également aux visiteurs d’accomplir des tâches et d’interagir entre eux.
L’objectif des responsables du projet est de proposer une expérience qui se construit grâce aux mouvements des participants. Ils deviennent des acteurs de leur visite. Cette dernière comporte un potentiel immersif aussi fort que la réalité virtuelle, mais est moins onéreuse à implanter puisqu’elle ne demande pas l’installation de matériel à la fine pointe de la technologie.
D’après la directrice du Digital et de l’Innovation au Centre des monuments nationaux, Abla Benmiloud-Faucher, la fréquentation du château ducal de Cadillac a connu une forte progression en 2023 (+ 25 % par rapport à 2022). Ce résultat est notamment attribuable aux animations et à la valorisation des collections. Cela a également permis de renouveler la clientèle de proximité à la recherche de nouveautés et d’activités sensorielles et immersives.
Une cité musicale
La musique fait partie intégrante de l’ADN de l’Abbaye des Dames située en Nouvelle-Aquitaine. Grâce au projet Musicaventure, l’ancien monastère réinvente sa visite et propose des expériences sensorielles, ludiques et connectées pour explorer le site, son histoire et sa musique. Le concept se décline en plusieurs volets. L’un d’eux, Les Voyages, invite les visiteurs à découvrir l’abbaye à travers un parcours immersif sonore de 12 stations. Les dialogues et la musique sont mis en valeur grâce à un casque d’écoute qui optimise le contenu en diffusant un son 3D. Il renforce le sentiment de présence en permettant aux utilisateurs d’entendre les sons venant de différentes directions et offre une expérience d’écoute plus captivante.
Le son 3D reproduit la perception naturelle de l’audition humaine en simulant la manière dont les sons sont entendus dans le monde réel, en provenance de différentes directions.
Valoriser une mémoire collective
Plusieurs spécialistes estiment que la dimension sonore d’un lieu ou d’une activité fait partie d’un aspect méconnu du patrimoine culturel. Elle emporte une part irrécupérable du passé lorsqu’elle se modifie, poussée par l’évolution naturelle de la société. Des artistes et musées s’associent et tendent leurs micros pour immortaliser les bruits, les témoignages typiques d’un lieu ou d’une région. En plus d’offrir une expérience inédite aux visiteurs, cette pratique préserve ainsi un héritage collectif.
Depuis 2021, le Musée maritime du Québec à l’Islet propose l’exposition « Brise-glace : immersion sonore dans l’univers du Ernest Lapointe ». Cette co-création réalisée avec l’artiste québécoise Caroline Gagné invite les visiteurs dans un voyage sonore à bord de l’un des derniers brise-glaces à vapeur canadiens en opération sur le Saint-Laurent. L’exposition immersive se dévoile en une composition originale créée à partir de 124 sons provenant d’extraits d’archives et d’enregistrements à bord du Ernest Lapointe et d’autres navires similaires. En plus, le projet permet de contribuer à la grande sonothèque mondiale en rendant disponible au grand public plus d’une centaine de sons recueillis durant les recherches pour créer l’exposition.
Plus qu’une simple musique d’ambiance
Les projets sonores permettent de générer des émotions, renouvelant ainsi l’intérêt des visiteurs. De plus, ils favorisent une implication accrue des visiteurs, facilitant l’appropriation des contenus et rendant l’apprentissage plus interactif et mémorable. En outre, les solutions sonores donnent l’opportunité de diffuser et de préserver un patrimoine culturel fragile ou disparu, offrant une nouvelle vie aux trésors du passé et permettant à un large public de les découvrir. Ces initiatives enrichissent considérablement l’expérience culturelle, rendant chaque visite unique et inoubliable. Pourquoi s’en priver ?
Source de l’image à la une : Pexels
