Les populations hostiles aux touristes se multiplient. En réponse à cela, les destinations sont nombreuses à adopter une gestion collaborative et participative.
La saison estivale annonce normalement l’arrivée de la haute saison touristique. Pour les résidants des zones particulièrement fréquentées par les touristes, il peut s’agir d’une période appréhendée. Pendant des mois, certains voient leur quartier se dénaturer, tandis que d’autres doivent faire face à des comportements invasifs ou à des inconduites venant miner leur qualité de vie. C’est sans compter la congestion des routes et les nuisances sonores engendrées dans certains cas.
Devant ces dérangements, on observe, année après année, des manifestations de résidants démontrant leur exaspération face aux masses de touristes et aux problèmes qu’ils génèrent. C’est le cas notamment en Espagne. En mai dernier, les résidants de Majorque, Minorque et Ibiza (les trois principales îles de l’archipel) ont manifesté dans les rues pour réclamer des mesures plus drastiques, mais aussi des solutions à long terme, en ce qui concerne la gestion du tourisme.
Il s’avère ainsi essentiel d’écouter les préoccupations et les difficultés que vivent les communautés locales, idéalement avant que le tourisme ne provoque des frictions. Il est pertinent d’inclure les populations dans la planification touristique de manière à respecter leurs modes de vie et refléter leurs ambitions. Cette approche permet aussi d’assurer une expérience agréable aux visiteurs qui auront un meilleur accueil sur place. C’est dans cette optique que certaines destinations mettent en place des modèles de gestion collaboratifs et participatifs.
Une gouvernance qui implique la population
Les enquêtes populationnelles représentent un moyen efficace de prendre le pouls des membres de la communauté face à la situation touristique. Elles permettent de suivre l’évolution des besoins et des attitudes, en plus d’observer si certaines problématiques ou inquiétudes persistent dans le temps. Par exemple depuis 2015, la Nouvelle-Zélande fait parvenir deux fois par année un sondage à un échantillon de 500 résidants les questionnant à propos de leur perception du tourisme sur le territoire. La base de données de cette enquête aide les autorités touristiques et les acteurs du secteur à résoudre les problèmes de cohabitation avant qu’ils ne s’aggravent.
En Belgique, VisitFlanders a également mené des enquêtes auprès de la population en 2017. Les résultats montrent que le tourisme bénéficie d’un large soutien de la part de la communauté. L’OGD reconnaît toutefois les conséquences potentiellement négatives d’une croissance continue des flux de voyageurs pour la qualité de vie des résidants. Cette réflexion a mené au développement de la stratégie « Travel to Tomorrow », devenue un cadre holistique qui soutient les communautés et les entreprises de la région afin qu’elles s’épanouissent grâce à l’activité touristique.
Depuis, VisitFlanders a publié des recommandations pour l’implantation d’une politique touristique à l’échelle de la destination. Cette vision sur cinq ans (2019-2024) s’appuie d’abord sur l’avis des populations résidantes. Elle repose aussi sur un processus de cocréation impliquant des participants du secteur public et privé de Flandre et d’ailleurs. Ces consultations incluent notamment une enquête effectuée auprès de plus de 1600 voyageurs, des rencontres avec des centaines de professionnels du tourisme, ainsi que cinq groupes de réflexion.
Voici quelques recommandations tirées de l’exercice :
- Surveiller pourquoi et comment certains lieux prospèrent ou deviennent populaires auprès des voyageurs afin d’ajuster de manière continue la gestion de l’achalandage ;
- Répartir les flux de visiteurs dans le temps et l’espace en misant sur le développement de produits touristiques différents en lien notamment avec le patrimoine religieux et l’accès à l’eau ;
- Soutenir les entrepreneurs touristiques en leur donnant des outils et des conseils nécessaires à la mise en place d’actions durables ;
- Faciliter les déplacements vers les attraits et les lieux limitrophes aux centres urbains en rendant accessibles des solutions de mobilité multimodales.
De leur côté, les résidants de Dubrovnik en Croatie peuvent plutôt s’exprimer via une application mobile. Dubrovnik Eye permet une communication directe entre la municipalité et les citoyens. Ces derniers ont la possibilité d’y signaler tout problème en lien avec le tourisme dans le secteur, que cela concerne le grabuge, les bruits ou la turbulence. La ville de Berlin, quant à elle, permet depuis 2022 aux Berlinois de s’exprimer sur le développement touristique de leur ville lors d’un conseil indépendant qui se réunit quelques fois par année (lire aussi : Berlin fait appel aux résidants).
La gestion du tourisme nécessite également une assistance de la part d’autres acteurs impliqués dans le secteur. Une coopération étroite entre diverses parties prenantes est essentielle pour assurer un développement durable de la destination.
Coopération entre divers acteurs
La mise en place de groupes de travail et la création de rencontres stratégiques qui rassemblent les instances gouvernementales, les associations touristiques sectorielles et régionales (ATS-ATR), les organisations de gestion de la destination (OGD) et les entrepreneurs touristiques sont des démarches clés. L’Islande et la Ville d’Amsterdam emploient cette approche dans leur plus récente stratégie touristique.
Le cas de l’Islande
En Islande, le ministère de l’Industrie et de l’Innovation ainsi que l’Association islandaise du secteur du tourisme ont élaboré la stratégie Road Map for Tourism 2015-2020. À l’issue de plus de 50 rencontres entre les deux parties prenantes, un groupe de travail sur le tourisme, nommé le Tourism Task Force, composé de quatre membres du secteur privé, de quatre ministres des principaux domaines liés au tourisme et de deux représentants des municipalités locales a été créé. Ce groupe est depuis chargé de jeter les bases du tourisme de demain.
À cet effet, une stratégie visant le développement durable de la destination d’ici 2030 a été publiée. Elle prévoit, entre autres, consacrer toute l’année une partie importante des efforts à l’amélioration de la qualité de vie des résidants, ainsi qu’à la démocratisation du tourisme dans les régions plus éloignées.
Le cas d’Amsterdam
Une démarche semblable a été mise en place dans la capitale des Pays-Bas. En parallèle à la stratégie City in Balance, la Ville d’Amsterdam a créé un groupe de travail sur le tourisme regroupant plusieurs parties prenantes, dont des résidants, des entrepreneurs touristiques et des personnes responsables du marketing de la destination. Le groupe se réunit régulièrement pour réfléchir à des solutions qui concernent notamment la gestion des flux de visiteurs.
Tout récemment d’ailleurs, la destination a publié sa vision du tourisme pour 2035. Cette dernière mise, entre autres, sur l’amélioration de la qualité de vie des communautés par la recherche d’un équilibre entre l’afflux de touristes et le nombre de résidants, particulièrement au centre-ville. Cette approche concorde avec les efforts de la destination qui visent à réduire les nuisances liées aux comportements turbulents de certains touristes venus exclusivement pour faire la fête (lire aussi : Des campagnes marketing qui implorent le respect).
Une gestion collaborative pour contrer l’aversion au tourisme ?
Selon le géographe Jean-Christophe Gay, l’enjeu autour de cette aversion du tourisme de la part des résidants demeure depuis de nombreuses années celui de la masse. Inclure les membres de la communauté dans les réflexions, repenser la destination en fonction d’abord de leurs usages et contrôler les flux touristiques seraient-elles des solutions à cette hostilité ?
Image à la une : Unsplash