Délaissées par les touristes internationaux, les villes sont investies par les populations locales qui souhaitent se les réapproprier, comme c’est le cas à Amsterdam ou encore à Venise. Au Canada, des acteurs influents de l’aménagement urbain signent une déclaration pour repartir sur de nouvelles bases.
Une pause révélatrice du tourisme urbain
Les villes fortement sollicitées sur le plan touristique jusqu’à récemment connaissent une accalmie inespérée depuis la mi-mars. À Amsterdam, l’ambiance a radicalement changé. La très forte progression du nombre de visiteurs au cours de la dernière décennie a généré des effets collatéraux non désirables comme une désertion des restaurants et des cafés du centre-ville par les résidents. La pandémie aura provoqué leur retour. Ces derniers découvrent leur ville sous un jour nouveau. Ils apprécient la tranquillité, la propreté, ainsi que la résurgence du néerlandais comme langue d’approche au lieu de l’anglais.
Même constat à Venise et à Barcelone. La pandémie aura permis une réappropriation des lieux par la population locale, mais aussi une remise en question quant à la gestion des flux et de certains enjeux ayant contribué jusque-là à l’abandon des quartiers centraux par les résidents. Le prix des loyers couplé à leur rareté due, en partie, à la prolifération des locations de type Airbnb, en est un exemple.
La mobilité active à l’honneur
Une ville paraît très différente lorsqu’elle n’est plus dominée par la circulation automobile. Les stimulus ne sont plus les mêmes. L’air est également moins pollué. La piétonnisation des rues, la création de voies cyclables, l’ouverture des espaces publics pour les restaurants et les cafés permettent aussi de vivre la ville autrement. Cette tendance de réaménagement pour faciliter la mobilité active et la fréquentation des commerces locaux, dans un contexte où la distanciation physique constitue le mot d’ordre, est observable partout sur la planète.
Les autorités de nombreux centres urbains sont d’avis qu’il faut profiter de l’occasion pour mieux planifier l’avenir.
Les autorités de nombreux centres urbains sont d’avis qu’il faut profiter de l’occasion pour mieux planifier l’avenir dans une optique de développement durable, autant en matière d’aménagement que de gestion touristique.
Mieux aménager
À Paris, la mairesse Anne Hidalgo a des plans audacieux. Elle souhaite profiter du courant des derniers mois et pousser encore davantage les initiatives pour encourager les déplacements à pied et à vélo. Elle met de l’avant le concept de « ville ¼ d’heure », qui consiste à favoriser la mixité des vocations dans les quartiers afin que chaque résident puisse travailler, faire ses courses, accéder à des espaces verts et se divertir dans un rayon de 15 minutes. Ce modèle séduisant permet de créer des milieux de vie dynamiques et attractifs à échelle humaine. Il engendre aussi une stimulation de l’économie locale, une réduction du recours à l’automobile et suscite l’esprit de communauté.
Ce modèle peut paraître utopique, surtout pour les villes canadiennes où le transport en commun et les aménagements pour les déplacements actifs font cruellement défaut. C’est d’ailleurs dans cette mouvance qu’une cinquantaine d’experts et de personnalités influentes au pays, sous l’impulsion de l’ex-urbaniste en chef de la Ville de Toronto, Jennifer Keesmaat, signent la Déclaration 2020 pour la résilience des villes canadiennes.
Réparer 50 ans de développement non durable mettant notamment en péril l’accès à la propriété, la santé des populations, la qualité de l’air et de l’eau et la santé économique à long terme des villes, voilà l’intention de ce groupe multidisciplinaire. Il propose de développer une économie verte, propre et sobre en carbone en changeant la façon de planifier et d’opérer les milieux urbains.
Les signataires formulent ainsi 20 mesures à mettre en place comme point de départ à ce virage. Celles-ci se regroupent sous trois thématiques. À titre d’exemple, voici ces grands thèmes accompagnés chacun d’une mesure :
Assurer une occupation responsable du territoire
- Restreindre la location à court terme de logements pour assurer que ceux-ci ne soient pas à nouveau soustraits du marché locatif de l’après-COVID-19.
Accélérer la « décarbonisation » de nos systèmes de transport
- Prioriser la transformation des rues et des routes existantes pour le transport actif, à la fois pour la période immédiate de reprise post-pandémie et comme mesures permanentes, tout en ajoutant de l’espace supplémentaire pour répondre aux besoins des personnes à pied, celles à mobilité réduite ou à vélo.
Adhérer au développement durable dans nos environnements naturels et bâtis
- Adopter un plan détaillé et financé visant l’atteinte d’un couvert forestier urbain de 40 %.
Avec la pression que subissent actuellement les budgets municipaux, les propositions soumises dans cette déclaration nécessitent principalement une réallocation des ressources plutôt que des investissements supplémentaires. Un examen des priorités s’avère donc essentiel.
Mieux planifier la gestion touristique
Dans certaines villes européennes, la gestion des flux touristiques à l’égard de la reprise fait partie des grands enjeux. L’organisation à but non lucratif Amsterdam & Partners, dont la mission consiste à vendre la ville comme endroit pour vivre, travailler et découvrir, œuvre sur une relance durable et mise sur un meilleur équilibre visiteurs/visités. Ces efforts ont débuté il y a environ deux ans, alors que les résidents démontraient leur exaspération face à une situation devenue intolérable. La Ville ainsi que des mouvements de citoyens ont contribué à mettre en place plusieurs mesures, comme le resserrement des contrôles sur les locations d’appartement à court terme, ou encore la campagne de sensibilisation « We live here » visant à rappeler les règles de civisme aux touristes venus faire la fête.
Amsterdam & Partners travaille actuellement sur une campagne qui vise à séduire les voyageurs d’affaires, ceux qui s’intéressent aux musées et au patrimoine, mais aussi la population locale et les invite à redécouvrir l’offre culturelle, le centre historique ainsi que d’autres quartiers moins connus. L’OGD souhaite aussi donner une grande vitrine aux entrepreneurs locaux. Son but : profiter de l’accalmie pour développer une économie touristique qui ne nuit pas à la viabilité de la population.
Vers le tourisme lent
À Venise, des groupes de citoyens se forment pour éviter le retour à la case départ. On souhaite retrouver la possibilité d’habiter la ville, de consommer dans les commerces du centre et de profiter de ses beautés. On encourage aussi le tourisme lent, c’est-à-dire les séjours avec nuitées plutôt que les excursions d’un jour — l’un des enjeux importants de Venise —, et la fréquentation des artisans, des églises et des musées à un rythme raisonnable. On y voit là une façon de mieux disperser les visiteurs et de favoriser les interactions de qualité avec les résidents.
On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs
Mais ces propositions de changement de cap provoquent des débats. De nombreuses entreprises attendent le retour de la manne touristique avec impatience. Plusieurs ont été contraintes de mettre la clé sous la porte. Un virage vers un tourisme plus durable et harmonieux bousculera les conventions et les modèles d’affaires.
Profiter de l’impulsion du moment
Miser sur des villes qui répondent d’abord et avant tout aux besoins des résidents, où règne une économie durable et diversifiée, grâce à une mixité harmonieuse de commerces et d’usages semble faire consensus parmi les experts de la planification urbaine. L’occasion de corriger le tir est unique. Saurons-nous tirer profit de cet élan ?